Le littoral corse est constellé de tours (en corse torre au pluriel ou bien torra au singulier), devenues un des symboles de l'île. Bien que toutes ne soient pas d'origine génoise, on les appelle généralement "tours génoises", sans distinction.
La construction de ces tours génoises est la conséquence de la prise de Constantinople par les Turcs en 1453 ; les Barbaresques commencent à razzier les côtes et le feront pendant trois siècles. Elle débuta au XVIe siècle à la demande des communautés villageoises pour se protéger des pirates.
En 1530, la république de Gênes dépêche deux commissaires extraordinaires, Paolo Battista Calvo et Francesco Doria, pour inspecter les tours et fortifications chargées de défendre l'île des invasions barbaresques.
En 1530 la Corse a vingt-trois tours dont dix au Cap Corse.
Dès 1531, l'édification de quatre-vingt-dix tours est décidée sur le littoral corse,
dont trente-deux au Cap. Les travaux commencent sous la supervision de deux nouveaux commissaires extraordinaires génois : Sebastiano Doria et Pietro Filippo Grimaldi Podio.
Il s'agissait d'étendre à la Corse le système de vigilance déjà en vigueur sur le pourtour méditerranéen.
Ces nids-de-pie placés en avant-poste prévenaient et défendaient des attaques des Barbaresques et de tous les dangers venant de la mer.
En 1730 l'île a 120 tours dont 30 au Cap.
Aujourd'hui, sur les 85 tours dénombrées au début du XVIIIe siècle,
67 demeurent encore debout. Hormis les citadelles littorales de Bastia, Porto-Vecchio, Bonifacio, Ajaccio, Calvi, Algajola et Saint-Florent, et celles intérieures de Corte et Sartène, ce sont les seuls restes d'architecture militaire de l'époque d'occupation génoise qui subsistent dans l'île.
Fonction des tours :
La garnison d'une tour se constituait de deux à six hommes (les torregiani) recrutés parmi les habitants et payés sur les taxes locales. Ces gardiens devaient résider en permanence dans la tour. Ils ne pouvaient s'en éloigner que deux jours maximum, pour le ravitaillement et la paye,
et un par un. Ils assuraient la vigie avec les feux et signaux réglementaires : ils montaient matin et soir sur la plate-forme, renseignaient navigateurs, bergers et laboureurs sur la sécurité, communiquaient par feux avec les tours les plus proches astucieusement positionnées à portée de vue, et surveillaient l'arrivée d'éventuels pirates.
En cas d'alerte, le signal donné sur la terrasse au sommet de la tour, sous forme de fumée, de feu ou d'un son de culombu (grande conque marine), prévenait les environs de l'approche d'un navire hostile. S'ensuivait le repli général des bêtes et des gens vers l'intérieur. Les deux tours les plus proches s'allumaient alors et ainsi de suite, ce qui permettait de mettre toute l'île en alerte en quelques heures.
Certaines garnisons ont dû se défendre contre les envahisseurs, et on retrouve à leur base les restes des combattants.
Les tours étaient toujours insuffisamment armées. Elles servaient principalement de postes douaniers et d'amers.
Les torregiani négligeaient souvent leur rôle militaire, pour se concentrer sur le contrôle du commerce maritime et la perception de diverses taxes. Ils pratiquaient aussi le négoce du bois et l'agriculture sur les terres environnantes.
Bien que les absences injustifiées soient interdites sous peine de galères ainsi que le remplacement par une personne autre que les gardiens titulaires, au fil du temps, certaines tours sont désertées par leurs gardiens. Elles se dégraderont, tomberont en ruines, ou seront détruites, faute de défense.
Dans une communication, Joseph de Freminville rapporte le règlement promulgué le 17 mai 1612 par le Sénat de Gênes, en raison de négligences générales signalées, applicable « « in tutte le torri dell'isola tanto di quà quanto di là da'monti da osservarsi dai capi e torregiani », sous peine de deux ans de galères :
1° Défense de sortir plus d'un homme à la fois pour un laps de temps qui ne doit pas dépasser deux jours et seulement pour des causes urgentes, telles que pour aller chercher des approvisionnements ou la solde ;
2° Obligation de monter quotidiennement sur la plate-forme avant et après le coucher du soleil pour examiner s'il n'y a pas de corsaires en vue et, dans ce cas, faire les signaux accoutumés ;
3° Défense de se faire remplacer; ceux qui sont payés pour la garde des tours doivent remplir personnellement leur mission ;
4° Obligation de renseigner immédiatement les navigateurs qui les interrogeraient sur la sécurité de la route qu'ils suivent ;
5° Chaque soir, les tours doivent communiquer entre elles par les signaux conventionnels faits par le feu. »
Architecture :
Les tours génoises sont des édifices en pierre de 12 à 17 m de haut sur 8 à 10 m de diamètre. Parfois carrées, le plus souvent circulaires, elles sont toujours construites sur quatre niveaux :
5. la réserve, au sous-sol de la tour ; une niche servait à ranger les vivres ; on y stockait également les munitions. L'eau y était conservée dans une citerne, alimentée depuis la terrasse par une conduite directe ;
4. la salle de repos, au premier étage ; elle était parfois séparée de la salle de garde par un simple plancher sommaire et formant avec elle un espace de vie unique ;
3. la salle de garde, au deuxième étage ; elle était percée de meurtrières pour permettre aux torregiani de guetter ;
2. la terrasse, au sommet de la tour, pour la surveillance ; percée de mâchicoulis ou munie de bretèches, elle était flanquée d'une guardiola (1).
1. Guardiola : une échauguette, une petite pièce carrée, polygonale ou cylindrique, le plus souvent construite en encorbellement et dotée de mâchicoulis et de meurtrières, destinée à abriter un guetteur et à lui permettre d'avoir un champ de vision complet sur le secteur (270 degrés)
On passait d'un niveau à l'autre par des trappes et des échelles. L'accès à la porte d'entrée se faisait par une longue échelle mobile, directement au premier étage. Les gardes habitaient à tour de rôle la pièce unique pourvue de niches et d'une cheminée, et située sous la salle de guet.
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